samedi 2 mai 2015

Et pour quelques barils de plus...

Cuves de stockage de pétrole en Irak
Chaque marché présente son lot d’opportunités. Qui profite donc aujourd’hui de la baisse des prix de l’or noir ? Bien entendu vous me répondrez tous en chœur : « les sociétés consommatrices de pétrole : industriels comme Michelin et compagnies de transport principalement ». Oui, mais aujourd’hui je vais plutôt parler de certaines sociétés de l’industrie pétrolière qui ont su augmenter leurs profits grâce à la chute des prix.

Je nomme : les compagnies de stockage de pétrole ! En effet, la surabondance d’offre de pétrole a fait plus lourdement chuter le cours spot du pétrole que les marchés à terme (contrats pour une livraison dans 3 mois, 6 mois…). Cette situation a  créé un fort contango (marché à terme > spot). 

Or, lorsque le contango est assez important, il y a une opportunité d’arbitrage qui consiste à acheter la matière première (physiquement, au cours spot), vendre un contrat future et stocker la matière première jusqu’à échéance du contrat future (date de livraison). Cet arbitrage n’est possible que si le spread spot-future dépasse les couts de stockage, d’assurance et les intérêts liés à l’achat spot. En finançant l’achat spot à 100% on réaliserait alors un arbitrage parfait : aucun risque, pas de cash à sortir et un profit certain.

Voici la structure actuelle (mars 2015) du marché à terme sur le WTI et le Brent :
Stucture marché à terme brent et WTI en mars 2015 (cliquez pour agrandir)

Exemple concret : le cours du WTI (spot, mars 2015) est de 47.44 USD contre 56.12 USD pour le contrat future à échéance mars 2016 (un an plus tard). Cela fait un écart de 8.68 USD par baril soit un spread de 18.3% ! Maintenant il faut retrancher intérêts et assurance sur 1 an autour de -1.5 USD / baril et les frais de stockage : actuellement entre 0.5 USD/mois/baril et 1.2 USD pour les solutions les moins optimisées (la location des cuves étant moins chères que celle des navires) soit des frais compris entre 6 USD pour la solution optimisée et 14.4 pour l'autre.

Exemple concret d'arbitrage physique en mars 2015

Bilan : l'arbitrage n'est positif qu'à condition de faire les bons choix logistique et de tout optimiser (l'arbitrage physique requière donc de disposer d'économies d'échelle). There is no free lunch !

 Ces anomalies de marché constituent le fonds de commerce de nombreux arbitrageurs et autres traders commodities des boites de négoce (Vitol, Glencore, Mercuria, Gunvor, Trafigura…) ainsi que de certaines banques  ou de majors pétrolières. Leurs interventions tendent constamment à ramener le marché vers une situation sans anomalies (sans opportunités d’arbitrage).

Revenons à nos moutons et voyons en quoi le contango impacte les sociétés de stockage. Comme nous venons de le voir, la forte baisse de prix a attiré de nombreux arbitrageurs et également des spéculateurs. Ils veulent tous acheter du pétrole aujourd’hui et le stocker pour le revendre plus cher dans quelques mois : ce sont donc des merveilleux clients pour les compagnies de stockage ! Cette demande de capacité de stockage fait donc monter les prix de location (l’offre de stockage restant limitée) des cuves et des tankers (un VLCC peut contenir 2 millions de barrils). 

Pour donner une idée de ce marché : en moyenne un VLCC qui se louait 60K USD quelques mois auparavant se loue désormais au-dessus de 80K USD aujourd’hui soit une augmentation du charter rate de +33% (avec de fortes variations selon les termes du contrat, des caractéristiques du navire etc).

Comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous, la demande de stockage de pétrole a explosé (x3) ces derniers mois (proxy : cuves de Cushing) :
Evolution du stock de pétrole à Cushing (hors réserves stratégique des USA). Source : EIA. (Cliquez pour agrandir)

Ces sociétés sont peu connues du grand public : Vopak (capacité de 210 millions de barils), Kinder Morgan, OilTanking GmbH et Magellan Midstream Partners LP sont les plus importantes de ces sociétés spécialisées et indépendantes (chaque major détient des capacités de stockage). Parmi les traders qui détiennent de fortes capacités de stockage, on peut noter Mercuria qui peut stocker plus de 40 millions de barils et VTTI qui est une filiale de Vitole.

Resterait-il des miettes pour nous, pauvres petits investisseurs ? Malheureusement, les opérations d’arbitrage physique sur le pétrole ont une forte barrière à l’entrée. Concernant un investissement equity dans les sociétés de stockage mentionnées, mon point de vue est que ces sociétés ne sont pas spécialement bon marché actuellement (PER autour de 20) malgré le repricing de leurs nouveaux contrats. Ces tarifs ne vont pas forcément perdurer et de nouvelles capacitées de stockage vont rentrer sur le marché. La prochaine hausse des cours de pétrole ou l’arrivée de nouvelles capacités de stockage sur le marché réduiront automatiquement les marges de Vopak et consorts.

Ce qu’il faut retenir de tout cela est que :
  • En termes de diversification de portefeuille il faut prendre en compte la sensibilité de chaque actif aux différentes variables macroéconomiques (cours du pétrole, taux d’intérêts etc) et non pas classer bêtement par secteur d’activité.
  • Chaque situation de marché présente son lot d’opportunités (arbitrages, hausses des tarifs des nouveaux contrats de location…).
  • Il faut se méfier des heuristiques (ne pas prendre de raccourcis dans une analyse) et bien vérifier que les nouvelles ne sont pas déjà dans les cours.